Le Président Macky Sall a eu à se barricader dès le lendemain de sa réélection, à l’issue du scrutin du 24 février 2019. Ses plus proches collaborateurs n’avaient plus aucune possibilité d’accéder à lui directement et même les échanges téléphoniques ou autres types de messagerie, devenaient de plus en plus rares.
Franchement, les quelques personnes qui ont pu lui parler, ont pu juger que la situation semblait amuser le chef de l’État. Les médias continuaient de faire leurs choux gras sur le « suspense » entretenu par le Président Sall. L’expérience a peut-être le mérite, qu’aucune fuite sérieuse n’avait pu être relevée dans les médias sur les intentions du Président Macky Sall.
Seulement, on constatera, avec les atermoiements sur la démission et la nomination du Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne le 5 avril 2019 et mieux encore, avec la formation du nouveau gouvernement le 7 avril 2019, qu’en vérité le Président Sall n’avait pas totalement fini sa réflexion. On peut dire que, bien avant l’élection du 24 février 2019, le Président Macky Sall posait un diagnostic lucide sur les tares et limites de sa gouvernance et de ses équipes et promettait un style nouveau et un chamboulement gouvernemental. Les premières décisions traduisent certes cette résolution mais ne manquent pas de susciter quelques réserves, doutes, inquiétudes et appréhensions.
L’illusion de prendre le vote du 24 février 2019 comme un blanc-seing
Déjà, en nommant Mme Aminata Touré au poste de Premier ministre le 1er septembre 2013, il annonçait la couleur en lui indiquant comme feuille de route « l’accélération des actions du gouvernement ». Aminata Touré prenait le service après Abdoul Mbaye, se disant consciente « de prendre le bâton pour poursuivre la course pour le développement et pour l’amélioration des conditions d’existence de nos concitoyens ». A une autre étape de cette course de relais, Mahammed Boun Abdallah Dionne s’ébranla le 7 juillet 2014, en disant lui aussi recevoir pour consigne de se mettre « au travail, avec célérité et diligence ».
Cinq bons tours de calendrier après, Mahammed Dionne est reconduit Premier ministre avec l’unique mission de préparer la suppression du Poste de ministre. En effet, le Président voudrait aller encore plus vite, toujours plus vite, et pour ce faire, sa trouvaille est de supprimer le poste de Premier ministre. Le Président Sall entend donc tenir d’une main le chrono et de l’autre le bâton du relais. Une réforme de cette nature n’est pas une première au Sénégal. Léopold Sédar Senghor l’avait expérimentée de 1963 à 1970 et Abdou Diouf de 1983 à 1991.
Les contextes politiques ou institutionnels et les raisons qui avaient guidé ses prédécesseurs vers un tel choix sont bien différents mais Macky Sall a décidé de la tenter. D’emblée, on peut être circonspect sur la manière dont la réforme a été annoncée. L’annonce a eu l’effet d’une grosse surprise d’autant que le Président Sall avait toute la latitude de mettre, d’une façon ou d’une autre, la question dans le débat de la dernière élection présidentielle. Ainsi, la réforme aurait été perçue a priori comme ayant déjà reçu l’onction du Peuple souverain par le vote confirmatif du Président Sall, le 24 février 2019.
Peut-on se rappeler que Léopold Sédar Senghor comme Abdou Diouf, avaient mis à profit des instants aussi solennels pour annoncer à leurs concitoyens la réforme majeure de suppression du poste de Premier ministre. Macky Sall a laissé le soin à Mahammed Dionne, d’annoncer lui-même, dans la foulée de sa reconduction, le 5 avril 2019, la suppression de son poste. Il explicita ainsi, dans un langage moins ésotérique, la réforme qui préfigurait dans une déclaration lue, quelques instants avant lui par le Secrétaire général de la présidence de la République, Maxime Jean Simon Ndiaye. Alea jacta !
Une réforme pour convenances personnelles du chef de l’État
Sans un Premier ministre à la tête du gouvernement, le Président Sall pense qu’il aura les coudées plus franches pour gouverner et que l’action du gouvernement sera plus efficiente et efficace. Une expression persane dit : « Nul autre que mon doigt ne me grattera le dos. » On peut ne pas douter des intentions louables du président de la République mais il reste que « la route de l’enfer est pavée de bonnes intentions ». Le Président Macky Sall encourt de réels risques avec une telle réforme. L’option semble définitive et on voit mal le Président Sall retirer un projet qui prend en émoi le débat public. Battre en retraite sur un projet de cette envergure, traduirait qu’en prenant la décision, le Président aurait agi avec une désinvolture coupable.
Aussi, le Président Sall s’est-il déjà assuré que sa majorité va voter les réformes constitutionnelles subséquentes, à la majorité des 3/5 des membres de l’Assemblée nationale ? Ses alliés seront-ils enchantés de voter une réforme aussi importante dont ils n’ont pas été associés à l’élaboration ? Moustapha Niasse semble lui avoir donné son onction au projet. Dans le camp politique du Président Sall, notamment dans son parti, l’Alliance pour la République (Apr), on peut bien se demander si tous les responsables seront alignés comme dans un peloton de conscrits pour soutenir le projet. Il pourrait se trouver des responsables politiques qui se verraient un destin de Premier ministrable qui ne voudraient pas participer à tuer leurs rêves. On pourrait craindre des résistances d’autant que les péripéties de la formation du gouvernement ont pu révéler quelques frustrations chez de nombreux responsables politiques.
Au demeurant, la réforme envisagée constitue, sans conteste, une réforme fondamentale qui changera le visage et l’architecture des institutions publiques au Sénégal. De telles réformes conduites de manière unilatérale, peuvent susciter des actions inattendues. Les populations suspectent souvent des intentions inavouées derrière de pareilles réformes.
C’était le cas notamment avec des réformes envisagées par le Président Wade qui avaient fini par provoquer la révolte populaire, un fameux 23 juin 2011 et qui avaient sonné le glas de son régime. Contraint par la rue, Abdoulaye Wade, pourtant élu trois ans plus tôt, au premier tour avec plus de 57% des suffrages, avait fini par retirer son projet controversé. Qu’est-ce qui garantit que les populations sénégalaises ne pourraient pas être amenées à exprimer un rejet massif de la nouvelle réforme préconisée par le Président Sall ?
Dans le cas d’espèce, ils pourront retourner au Président Sall le refus de dialoguer de manière sincère, sérieuse et franche. Déjà, le Parti démocratique sénégalais (Pds) s’est ravisé, par la voix de Me Elhadji Amadou Sall, qui a indiqué ce dimanche 14 avril 2019, à l’émission Grand Jury de la Rfm, sa disponibilité à prendre part, cette fois-ci, au dialogue politique proposé par le Président Macky Sall. Quel sera l’objet ou le contenu des discussions après que la réforme changeant fondamentalement les règles de la gouvernance publique aura déjà fini d’être adoptée ?
Comme tout autant, l’argument selon lequel en supprimant le poste de Premier ministre, le Président Sall chercherait à éviter les petites querelles dans son gouvernement entre rivaux politiques candidats à la succession en 2024. Si nommer une personnalité politique comme Premier ministre pourrait être perçu comme un choix d’un dauphin et que ce dernier pourrait chercher à conforter son assise, pourquoi ne pas chercher un profil moins enclin à une course à la succession ? Et puis comment le Président Sall pourra-t-il continuer à maintenir sous l’éteignoir les ambitions des personnalités politiques de son camp en direction de la prochaine Présidentielle ?
En demandant à ses proches de ne faire montre de la moindre velléité ou ambition de se lancer pour la course de 2024, Macky Sall serait en train de leur causer un tort. En effet, pendant que les éventuels candidats dans le camp présidentiel rongent leurs freins, d’autres candidats de l’opposition se mettent déjà à préparer cette échéance. Ne prendront-ils pas une certaine avance à l’heure du top départ ? Macky Sall ne saurait choisir de se faire succéder par un adversaire politique.