Climat : Dakar sacrifie ses pêcheurs pour le charbon

Les industries qui contribuent au réchauffement s’entassent sur une zone côtière déjà menacée par l’érosion et la montée des eaux.

Derrière les grandes pirogues colorées que les pêcheurs sénégalais tirent sur la plage se dessine dans les vapeurs du matin la silhouette d’un « monstre ». C’est ainsi que les habitants de la commune de Bargny, à 35 km de Dakar, surnomment l’immense cheminée de la centrale électrique à charbon qui se dresse au-dessus de leur ville. « Ils ont commencé les essais, raconte Cheikh Fadel Wade, coordinateur du collectif des communautés affectées par le projet. Ils veulent la mettre en activité ce mois-ci, mais nous allons tout faire pour l’empêcher. »

Depuis 2010, avec ses camarades, il tente de s’opposer à la détérioration de leur territoire et des activités ancestrales d’agriculture et de pêche. Sur les 70 000 habitants de Bargny, une forte majorité vit de l’activité halieutique. La ville concentre l’une des plus grandes communautés de pêcheurs lébous du Sénégal.

Mais le réchauffement climatique menace : Bargny est l’une des villes les plus vulnérables à l’érosion côtière. Avec la montée des eaux, les vagues lèchent aujourd’hui les flancs de maisons à demi écroulées sur la plage. La mer nourricière est devenue une menace qui progresse de plus de deux mètres par année, forçant des centaines d’habitants à s’entasser dans les quartiers riverains. « Nous devions reculer sur les terres arables mais nous ne pouvons pas, s’agace Fadel Wade. Les industries polluantes s’établissent sur toute la zone. Nous sommes pris en tenaille ! »

Outre le projet de la centrale à charbon de Sendou, Bargny doit compter avec l’une des plus grandes cimenteries d’Afrique de l’Ouest, la Sococim, appartenant au groupe français Vicat. Elle se tient à 3 km des habitations, dans la commune voisine de Rufisque. Dans quelques années, Bargny abritera aussi un port minéralier et vraquier de 483 hectares dont le lancement des travaux a été annoncé par le président Macky Sall fin février.

Si tant de projets industriels trouvent ici leur place, c’est que Bargny est au centre du Plan Sénégal émergent (PSE), le vaste programme de réformes infrastructurelles lancé par le gouvernement en 2014. Engorgée, Dakar a besoin de s’étendre en métropole tentaculaire hors de sa péninsule. Et le département de Rufisque, dont fait partie Bargny, représente 67 % de l’assiette foncière de la région. L’emplacement de la commune est idéal : proche de la capitale et de la côte, elle est traversée par une route nationale et bientôt par le nouveau TER.

Sardinelles

Le gouvernement a trouvé ici le bassin futur des industries qui nourriront l’économie sénégalaise. D’ici à cinq ans, la commune abritera 80 % du nouveau pôle urbain de Diamniadio, composé de 40 000 maisons et appartements pour 300 000 habitants. Peu de pêcheurs bargnois auront les moyens d’acheter l’un de ces logements. « Le maire a proposé de reloger les pêcheurs victimes de l’érosion dans la zone nommée “Bargny ville verte”, derrière la voie du prochain TER, à 3 km de la mer, précise Fadel Wade. Mais laisser sa pirogue si loin, c’est risquer le vol ou la destruction par la marée. »

Pendant un temps, ces réfugiés climatiques devaient être relogés sur un site proche de la rive, les lotissements Minam 1 et 2. Ceux-ci ont été vendus par l’Etat en 2008 pour construire la centrale de Sendou. Depuis, si l’Etat a promis un plan de relogement, les pêcheurs vivent toujours dans leurs bâtisses dévorées par la mer.

C’est le cas d’Alioune Cissé, assis au milieu de sa maison dont trois chambres ont été emportées en août 2016 sous les assauts de la houle. « Je n’ai toujours pas déménagé ma famille car je n’ai pas les moyens, soutient-il. Entre la mer, la centrale, la cimenterie et le port, nous étouffons. L’air, l’eau sont pollués et les poissons deviennent impropres à la consommation. » Ce qu’il craint le plus, c’est que ces industries gourmandes en foncier fassent à terme disparaître son activité. « Les femmes transformatrices de poisson ont déjà dû quitter la zone de sécurité de 500 m autour de la centrale, poursuit-il. Elles ne savent pas où travailler. Sans elles, toute notre économie s’effondrera. »

Devant le grillage encerclant le « monstre » de Bargny, Rokhaya Samba évide les sardinelles entassées dans son sceau. Depuis plusieurs mois, elle participe aux manifestations des agriculteurs qui craignent aussi pour leur métier. « Pour construire leur port, ils terrassent au bulldozer nos champs de gombo, clame-t-elle, agitant son couteau. Des centaines de paysans seront au chômage. Comment allons-nous faire sans agriculture ni pêche ? »

Les champs de gombo près de Bargny, qui seront prochainement rasés pour laisser place au port minéralier et vraquier.
Dans son bureau, Abou Ahmed Seck, le maire de Bargny, promet que « tous les propriétaires terriens seront indemnisés par le gouvernement », mais admet que ce ne sera pas le cas des exploitants. « Nous insistons pour que des compromis soient trouvés entre les agriculteurs et les propriétaires », dit-il. Concernant la pêche, il assure qu’« un quai spécifique avec un complexe frigorifique et un marché aux poissons verra bientôt le jour. Par contre, l’agriculture va disparaître. A la place, nous aurons de l’industrie. Qui dit port et centrale dit des milliers d’emplois directs et indirects. Dans tous les pays du monde, le rythme de consommation du foncier augmente au profit de l’industrie. Bargny est la porte d’entrée de Dakar. Il est inéluctable que le développement s’organise chez nous. Toutes les grandes entreprises du portuaire, comme Bolloré, viennent nous voir ».

« Invivable »

Cet enthousiasme déçoit Fadel Wade, pour qui « les navires déchargeront du charbon, des phosphates, du soufre, de l’acide sulfurique, des produits chimiques. Il y aura forcément des déversements lors du transbordage et de la manutention. La zone deviendra trop polluée pour pêcher. Les poissons sentiront le pétrole comme à Dakar. Si l’on ajoute à cela les fumées toxiques de la centrale chargées en plomb, en sélénium et en arsenic, Bargny sera invivable ».

Avec des prévisions d’un million de tonnes de CO2 rejeté par an, Abou Ahmed Seck a conscience du risque écologique qu’encourt sa commune. Il a donc négocié un protocole entre sa mairie, la Senelec (Société nationale d’électricité) et la Compagnie d’électricité du Sénégal (CES) visant à basculer la centrale à charbon en centrale à gaz, moins polluante, en 2021. Selon Fadel Wade, il y a « peu de chance pour que la centrale passe au gaz en trois ans alors qu’elle n’est même pas encore active ».

Face à l’industrialisation de Bargny, son collectif a rejoint la plateforme DeCOALonise Africa, qui défend les énergies renouvelables contre le charbon sur tout le continent. En plus des mobilisations, qu’il promet d’envergure, Fadel Wade entend déposer une plainte prochaine auprès de la Cour suprême.

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