Depuis son implantation au Sénégal, la tariqa tijaniya a toujours entretenu des relations cordiales mais si nécessaire des positions de principe avec les différentes formes de pouvoir temporel qui se sont succédé des temps coloniaux à nos jours. Si le Cheikh Aboul Abass s’est toujours gardé d’avoir des relations heurtées avec le pouvoir en place, d’où son exil vers le Maroc, ses successeurs comme Cheikhou Oumar Tall et Tafsir Maba Diakhou ont reçu l’ordre d’accomplir le Djihad dans des circonstances particulières.
L’histoire politique des relations entre le spirituel tidiane et le temporel a évolué en dents de scies selon les circonstances en présence, avec des épisodes parfois très heurtés mais souvent les relations sont empreintes de cordialité. Les récentes réalisations d’infrastructures à Tivaouane et Kaolack dans le cadre de la modernisation des foyers religieux ont raffermi davantage les relations entre les tidianes et le temporel sous Macky Sall. Mais jamais dans l’histoire de notre pays, la tariqa tidiane n’a accepté le diktat du temporel en déphasage avec les préceptes de la Tariqa et de la religion.
Après avoir parcouru religieusement et politiquement l’article du journal L’observateur de ce 11 avril intitulé « Mahmoud Saleh démolit Djamil », j’en ai tiré des implications religieuses et politiques du fait de l’ambivalence de la dimension temporelle et spirituelle du principal concerné sur cet article, je veux citer Serigne Mansour Sy Djamil.
Au niveau spirituel, Serigne Mansour Sy Djamil n’en demeure pas moins un guide religieux de la tariqa Tijaniyya, car dépositaire surement d’un Idjaza authentique ayant suivi la chaine de transmission confirmée remontant jusqu’à Aboul Abass Cheikh Ahmed Tidijani Cherif. En sa qualité de Mouqadam, les disciples tidianes lui doivent une certaine révérence comme le rappelle Seydi El Hadj Malick dans son ouvrage Fakihatou Toulaab où il retrace l’attitude du disciple envers un Mouqadam de la Tariqa.
Par conséquent, c’est ignorer les préceptes de la Tariqa Tidiane que de demander à des confrères de critiquer un maitre confirmé de la voie pour ces positions politiques, sans relation directe avec notre foi.
Pour être clair, je ne dénie à personne le droit de critiquer un adversaire politique serait-il un Cheikh de la plus haute hiérarchie spirituelle de la tariqa. Par contre, demander aux disciples tidianes de se substituer aux politiques pour porter l’estocade à un maitre de la voie, relève d’une méconnaissance profonde des préceptes de la tijaniya en matière de respect de la hiérarchie spirituelle. Cette ignorance est encore plus exacerbée quand on fait un amalgame entre les relations familiales qui lient la descendance de Seydi El Hadj Malick SY et les relations spirituelles qui peuvent exister entre les membres de cette famille. La relation familiale relève de la tradition alors que la relation spirituelle relève de la Haqiqa, d’inspiration divine.
Ainsi, faut-il rappeler aux non initiés de la voie tidiane que le concept de « Rak top Mak» ne relève d’aucune indication de la doctrine mais demeure une tradition perpétuée de génération à génération sans aucune connotation spirituelle. Par conséquent le suivisme à outrance n’existe pas dans la voie mais plutôt une allégeance volontaire répondant à des chartes exigées par le Maître de la voie Cheikh Ahmed Tijani sous l’autorisation et la caution de son aïeul le Prophète Mouhamed PSL.
Par ailleurs, la Tariqa Tidiane en tant que voie soufie n’a pas un discours cohérent ou incohérent en direction du pouvoir temporel, même si individuellement, les tidianes peuvent avoir des positions politiques pour ou contre le pouvoir temporel.
Historiquement, sur le plan exotérique, les tenants de la tariqa tijaniyya n’ont jamais adopté une position commune et concertée de ses tenants en direction ou contre un quelconque pouvoir temporel. La démocratie intraconfrérique a toujours était de mise entre les tenants des différentes branches de la tariqa. Alors, parler d’une voix commune de la tariqa en direction d’un pouvoir temporel c’est méconnaitre l’histoire politique des tenants de la tariqa envers les différents régimes qui se sont succédé à la tête de notre pays.
La Tariqa tidiane n’a pas de leçon ni d’injonction à recevoir du temporel ou d’un de ses représentants. De même, la neutralité politique n’a jamais existé au sein de la famille de Seydi El Malick SY. Les membres de cette famille se sont toujours exprimés individuellement à travers un engagement politique actif comme l’a fait Serigne Cheikh Ahmed Tidiane SY Al Maktoum, ou sous forme de participation responsable, cette attitude qui requiert du religieux qu’il puisse remettre à l’ordre le temporel en cas de dérives, bien entendu en y mettant les formes, tout en gardant des relations de partenariat social en tant qu’institution non formelle pour lui permettre de jouer son rôle de régulateur pendant les périodes de crise.
Il ne s’agit pas pour le religieux d’adopter la neutralité entre les différentes positions politiques car la neutralité dans un contexte d’injustice et de mal gouvernance est synonyme de lâcheté vis-à-vis du peuple en souffrance. Le religieux doit assumer pleinement son rôle de contre-pouvoir sans être contre le pouvoir au risque de créer une crise institutionnelle. En tant que cinquième pouvoir dans notre arsenal institutionnel, le religieux ne se positionne pas en pour ou contre, mais en recours pour ou contre le pouvoir temporel.
De mon point de vue, je ne dénie à aucun religieux le droit de s’engager politiquement ou de ne pas s’engager, de s’opposer ou de s’allier au pouvoir. De même, je ne refuse à aucun politique le droit de défendre sa chapelle ou d’invectiver ses adversaires. Je reste profondément ancré dans ma foi soufie d’obédience tidiane qui m’exige la solidarité envers mes confrères dans la voie de Dieu et je me refuse de mener une bataille politique qui n’est pas mienne tant au sein de ma famille spirituelle que de ma famille de sang.
Cheikh Tidiane SY
Citoyen et Tidiane