ALIOU SALL, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA CAISSE DES DÉPÔTS ET CONSIGNATIONS : « Je ne signe même pas de chèque »

Pour la première fois depuis sa nomination en septembre 2017, Aliou Sall, le directeur général de la Caisse des dépôts et consignation (Cdc) brise le silence pour Libération. Des milliards de FCFA qu’il gérerait sans contrôle à son refus supposé d’être président du conseil d’administration de Air Sénégal en passant par toutes les informations qui ont circulé depuis qu’il a pris fonction, Aliou Sall met les points sur les « i », fait le point et décline ses ambitions. Sans langue de bois. r Sall, il a été écrit que vous auriez demandé une augmentation de salaire au conseil de surveillance qui s’y est opposé tout comme le ministère des Finances. Qu’en est-il réellement? 

Aliou Sall : Je dois dire, très solennellement, que jamais je n’ai réclamé une augmentation de mon salaire, ni au cours de la séance de cette commission de surveillance qui s’est tenue le 30 avril dernier, ni dans aucune autre instance. Ni par voie orale, ni par écrit. D’ailleurs, cette question n’était pas inscrite à l’ordre du jour de la séance indiquée plus haut. De quoi s’est-il agi ?

A vous de le dire à nos lecteurs…

Après avoir délibéré sur l’ensemble des points inscrits à l’ordre du jour, le président de la commission de surveillance a cru devoir, et c’est dans son rôle, interpeller les membres de l’instance sur une situation inédite et irrégulière. Le salaire qui est octroyé au Directeur général de la Caisse des dépôts n’est, à ce jour, encadré par aucun texte.
Pour rappel, le décret 2014-696 pris le 27 mai 2014 détermine précisément les salaires des directeurs généraux des établissements publics, des agences;  et précise que la Cdc, les Chambres consulaires et les établissements publics locaux sont exclus de son champ d’application. Il se trouve que depuis lors, aucun autre texte n’a été pris pour déterminer le salaire du Dg de la Cdc.
Donc, il y’a un vide réglementaire. Le président de la commission de surveillance a donc alerté les membres en indiquant la nécessité de régulariser cette situation. Les différents commissaires ont discuté, je n’entrerai pas dans les détails à cause du secret des délibérations…. C’est d’ailleurs bizarre que quelqu’un prétend parler de ce qui s’est passé au sein du conseil alors que nous sommes tous soumis au droit de réserve. Bref, après avoir délibéré, les commissaires ont donné mandat au président et à moi-même d’interpeller les autorités compétentes, en l’occurrence le ministère des Finances, pour déterminer la voie réglementaire par laquelle le salaire du Dg de la Cdc doit être fixé. Je rappelle que je perçois le même salaire que mon prédécesseur. Il s’est donc agi, pour les commissaires surveillants, de voir comment réglementer le salaire que je perçois déjà et que mon prédécesseur percevait.

Donc vous n’avez jamais demandé le « doublement » de votre salaire? 

Jamais. Je suis catégorique et que je crois que l’ensemble des personnes qui ont assisté à la séance de la commission de surveillance sont en mesure de me confirmer.

Monsieur Sall, vous avez été nommé en septembre 2017. Peut-on avoir un bref aperçu de ce qui a été fait depuis votre arrivée à la Caisse? 

Dès ma nomination je me suis attelé, avec les cadres, à diagnostiquer la situation et voir comment nous pouvons développer davantage la Cdc. Ce qui nous a permis d’observer et de constater que la Cdc était dans une tournure difficile et c’est le cas de le dire.

Comment ça? 

En fait, la Cdc est dans une situation où l’essentiel de ses actifs sont immobilisés  dans des investissements à long terme, certes à caractère social ou stratégique mais non rentables. C’est le cas de projets aussi stratégiques que Senegal Airlines qui est tombée en faillite. C’est aussi le cas de projets immobiliers nécessaires, parce que répondant à la politique de l’Etat pour la promotion de l’habitat social, mais qui se sont embourbés.
Pour d’autres projets immobiliers, la Cdc a consenti des investissements importants mais sans avoir le contrôle de la gouvernance des entités chargées de l’exécution. C’est fort de ce diagnostic que nous avons défini ensemble un plan opérationnel dont le but immédiat est de répondre de façon urgente aux exigences de rentabilité parce que, certes la Cdc est positionnée pour des investissements stratégiques mais encore faudrait-il qu’elle soit dans une situation de stabilité, de rigueur et de vigueur financière lui permettant de faire face à ceux-ci. Si nos ressources ne sont pas sécurisées, si elles ne sont pas suffisantes, on ne pourra pas répondre à cette mission qui nous a été assignée par la loi organisant et définissant les missions de la Cdc. Nous nous sommes alors dit, et nous avons été soutenu par la commission de surveillance, que pour répondre aux investissements stratégiques et accompagner l’Etat, la Cdc devrait s’orienter, comme la loi le lui permet,  vers des projets rentables dont le but est de sécuriser les liquidités de la Cdc, pour ne pas dire des tiers.

Vous pouvez nous citer quelques exemples? 

Nous sommes effectivement engagés dans un certain nombre de projets et la commission de surveillance nous a fait confiance. Ces projets répondent à l’intérêt général mais aussi au souci de rentabilité. On peut citer la réalisation des sphères administratives régionales qui consiste à construire, pour le compte de l’Etat, à travers l’Agence du Patrimoine bâti, des sphères dans certaines régions à l’image de ce qui a été  fait à Diamniadio.
Dans un premier temps, ces sphères verront le jour à Kaolack, Diourbel, Thiès et Sédhiou. Ce projet répond à une exigence d’économie parce que l’Etat dépense beaucoup dans le locatif mais aussi à une exigence de modernité. Et pour nous, il s’agit d’un projet assez intéressant puisqu’à court terme et moyen terme, dans les cinq années à venir, nous rentrons dans nos fonds après avoir répondu aux besoins du gouvernement en plus de rentabiliser nos investissements. Le tout, en sécurisant les dépôts des tiers. La meilleure garantie que l’on peut avoir c’est celle de l’Etat et c’est avec l’Etat que nous travaillons. Il ne s’agit plus de se lancer dans des projets à long terme non rentables et sans garantie.

Je peux aussi évoquer  la construction prochaine d’un centre de traitement des grands brûlés au sein de l’hôpital Fann sur demande du ministère de la Santé, dans le même principe de la location-vente. Il y a aussi la construction de résidences universitaires pour 5000 lits dans les campus de Bambey, Thiès, Diourbel, Ziguinchor entre autres. C’est dire que nous sommes actifs dans des projets à rentabilité assurée ce qui ne nous empêche pas de répondre à l’intérêt général et de suivre l’Etat dans ses projets stratégiques. La preuve par la présence de la Cdc dans la compagnie Air Sénégal qui est partie sur de nouvelles bases. Sur demande de l’Etat, nous sommes aujourd’hui les seuls actionnaires.

Justement pour en revenir aux investissements évoqués plus haut, on n’entend plus parler de la Cité Cdc de Bambilor alors qu’à un moment donné il y’avait beaucoup de publicité autour de ce projet? 

Vous l’avez dit !  Ce projet, commencé depuis 2014, a fait l’objet de beaucoup de publicité mais je dois dire qu’à mon arrivée, aucune villa n’a été livrée. Nous sommes concentrés, avec nos partenaires sur ce projet, à accélérer le rythme de réalisation en changeant de méthode d’abord,  en donnant plus d’importance au travail qu’à la publicité. Ce que je dois vous dire est qu’aujourd’hui prés de 300 villas sont en train de sortir de terre. Et ceci depuis quelques mois

Et sans publicité…

Nous ne faisons pas de publicité. Sans doute que nous en ferons au moment de la réception et de la livraison des villas aux ayant droits qui, pour certains, ont déposé des ressources auprès de l’entreprise chargée de réaliser les villas et avec laquelle nous avons mis en place un système d’évaluation et de contrôle. Ceci dit, nous avons aussi décidé de  changer la gouvernance de l’entreprise SRT chargée de réaliser ce projet. Car jusque-là, même si c’est la Caisse qui investissait pour l’essentiel, elle n’avait pas le contrôle de la gouvernance puisqu’elle ne détenait que 49 pour cent des actions. Nous avons convenu, avec nos partenaires au sein de Srt, de passer de 49 à 51 pour cent au sein du capital. Aussi, nous avons une vue et un contrôle sur toutes les opérations.

Nous avons aussi proposé à la commission de surveillance de construire 400 à 500 villas en lieu et place des 4400 logements.  Pour le reste nous sommes en train de définir un autre type de projet qui doit, cette fois-ci, répondre aux normes urbanistiques et notamment la priorité c’est de réaliser des Vrd sur le restant du site pour réaliser une vraie cité.

Et pour le projet des Mamelles? 

C’est un projet qui date aussi de 2014 et dans lequel la Cdc a investi 8 milliards de FCFA en compte courant et en terme d’avance à des entreprises avant mon arrivée. La Cdc avait, pour éviter les rigueurs du code des marchés, consenti à investir dans une entité qu’elle ne contrôlait pas. C’est ainsi qu’elle avait choisi la création d’une société, Serc, dans laquelle elle ne détenait que 40 pour cent même si elle était la seule à investir. Ceci a abouti à des difficultés majeures dans la gouvernance de cette entité et surtout à une perte de contrôle total. C’est le cas du foncier, 5 hectares et demi, qui avait été cédé à cette entité, sans qu’elle soit en mesure de respecter ses engagements, c’est-à-dire de payer le prix convenu ou de réaliser le projet à savoir la construction d’immeubles sur le site. A ma nomination, avec l’équipe et avec l’appui de la commission de surveillance, nous avons travaillé très dur et le premier résultat notable a été de récupérer le foncier qui, à ce jour, est revenu à la Cdc. Les 5 hectares et demi sont redevenus une propriété exclusive de la Cdc et cette opération, menée à l’amiable avec nos partenaires, a été faite sans bourse déliée. La Caisse n’a décaissé que l’équivalent des frais d’enregistrement. Et aujourd’hui, nous sommes en mesure de lancer un nouveau projet et, dans les semaines à venir, des appels d’offres seront publiés.

Vous avez tantôt parlé d’Air Sénégal.  Est-ce vrai, comme rapporté par la presse, que vous avez décliné le poste de président du conseil d’administration? 

Je n’ai pas refusé un poste de président du conseil d’administration d’Air Sénégal SA pour la bonne et simple raison que cette fonction ne m’a jamais été proposée. Le sujet n’a jamais été abordé. Certes, mon prédécesseur a assuré les fonctions de Pca d’Air Sénégal mais, avant même ma nomination, il avait quitté. L’ancien directeur général de Air Sénégal, qui est devenu Pca de 2As, avait été nommé au poste. Les autorités ont pensé, et c’est très pertinent, que le Pca  d’une société naissante, aussi importante qu’une compagnie aérienne, doit se consacrer pleinement au lancement et au développement de ce projet. Et c’est tout à fait compréhensible que ce soit une autre personnalité qui soit choisie pour assumer cette fonction. Et je me félicite que ce soit le Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye, doté de l’expérience et de l’engagement que l’on sait, qui préside aux destinées de cette compagnie et nous lui assurons tout notre soutien en tant qu’actionnaire principal.

Lorsque vous avez été nommé, des informations comme quoi vous gérez 200 ou 400 milliards de FCFA ont circulé. Une belle manne financière quand même…

(Rires). Quand j’ai été nommé, après la passation de service, j’ai souri parce qu’on parlait effectivement de milliards, de 200 milliards, 400 milliards… Un journal a même parlé de 3000 milliards (Rires). Quand, après avoir procédé à la passation, j’ai constaté, qu’en rapprochant les différents comptes, que la Cdc disposait au maximum d’une quinzaine de milliards de FCFA en trésorerie, je me suis dit peut-être que je suis dans une autre société que celle dont parlaient mes détracteurs. Et il faut préciser que c’est de l’argent qui n’appartient même pas à la Cdc mais aux tiers qui nous font confiance. Et cet argent nous devons avant tout le sécuriser pour ne pas dire le sauvegarder et le fructifier. Pour le reste, il s’agit d’actifs, d’investissements immobilisés. Ce n’est pas de l’argent à la disposition de la Cdc ou du Dg qui ne signe même pas de chèque puisque nos ressources financières sont gérées par un caissier général qui est un inspecteur du Trésor assermenté devant la Cour des comptes et nommé par décret.

Une autre rumeur voudrait que depuis votre nomination, la Cdc est hors contrôle…

Franchement, les gens sont allés dans tous les sens. La Cdc est assujettis au contrôle de tous les corps : Cour des comptes, Igf, Ige…qui, selon leur calendrier peuvent, à tout moment, venir vérifier l’exercice, nos comptes, notre fonctionnement, nos investissements…Jamais il n’a été question de sortir la Cdc de cet arsenal de contrôle commun à tous les organismes publics.  D’ailleurs, à la faveur de la loi rénovée en 2017, le contrôle a été renforcé. C’est ainsi que la commission de surveillance de la Cdc a désormais en son sein un comité d’investissement présidé par un représentant du ministère des Finances et composé, entre autres, d’un expert financier indépendant choisi par la commission. Ce comité examine tout projet d’investissement préparé par la Cdc. La commission de surveillance s’est aussi dotée d’un comité d’audit qui peut revenir sur l’ensemble  des projets et analyser l’efficacité de la Caisse. Tout ceci existe à la faveur de la nouvelle loi qui a été votée en 2017, avant mon arrivée.

C’est cette même loi d’ailleurs qui a réorganisé les conditions de passation des marchés à la Cdc en indiquant que pour ce qui est des marchés, la Caisse les organisera selon un manuel des procédures qui, pour être valable, doit être approuvé par la commission de surveillance. C’est ainsi qu’avec l’aide de consultants, la Cdc a déterminé, conformément à la loi, un manuel soumis à la commission de surveillance qui l’a validé. Ce manuel constitue le cadre par lequel la Cdc organise ses marchés en plus de reprendre les principes de transparence et de concurrence qui sont les principes directeurs du Code des marchés publics. Les changements notables que le manuel a apportés concernent en fait les délais. Ceci dit, nous échangeons en toute cordialité avec l’Armp avec qui nous travaillons à asseoir un climat de confiance et surtout favorable à l’amélioration des conditions d’exécution des marchés publics. Il faut préciser que nous ne sommes pas les seules dans cette situation car le modèle Cdc n’existait pas au moment de l’élaboration du Code. Il y’a aussi le Fonsis qui a les mêmes caractéristiques que nous, l’Apix…Donc ce n’est pas une spécificité de la Caisse.

Justement est-ce que vrai que le site qui abrite l’aéroport Lss a été cédé aux Marocains pour un projet dans lequel ils sont en partenariat avec la Cdc? 

Mais non! Les gens confondent tout. Avant même mon arrivée, la Cdc avait été effectivement chargée, en même temps que la Caisse de dépôt et de gestion du Maroc, dans le cadre d’une convention tripartite avec l’Apix, de procéder aux études en vue de la réalisation de la Cité des affaires de l’Afrique de l’ouest sur le site de l’aéroport Léopold Sédar Senghor. Ce travail a été fait, les études  présentées aux autorités compétentes des deux pays. Mais le Chef de l’Etat a pris la décision , par décret, de faire de l’aéroport Léopold Sédar Senghor un aéroport militaire après le transfert des activités aéroportuaires civiles vers l’aéroport de Diass. Aujourd’hui, la Cdc ne travaille plus sur ce dossier et je peux vous dire, solennellement, que ce projet de la Cité des Affaires n’est plus d’actualité. Cela veut dire aussi que les questions foncières, évoquées ça et là, sont devenues caduques. Il n’a jamais été question de vendre ce foncier à qui que ce soit ni à des Marocains, ni à des Saoudiens…

Libération

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