Un label musical ressuscite les tubes africains tombés dans l’oubli

New York, été 2013. Un coup de fil, Hailu Mergia décroche. Il est au volant de son taxi. Autrefois star du jazz éthiopien dans les années 1970, il a fui le régime autoritaire de Mengistu Haïlé Mariam. Alors qu’il était en tournée avec son groupe, le Walias Band, il décide en 1981 avec trois autres des six musiciens du groupe de rester à New York. Hailu Mergia tente de continuer la musique, sans succès. Il devient chauffeur de taxi en gardant toujours son clavier proche de lui. « Who is it ? », demande-t-il dans le combiné.

A l’autre bout du fil, un certain Brian Shimkovitz. L’homme téléphone depuis Berlin, a un blog qui regroupe des dizaines de musiques africaines, et souhaite rééditer un vieux titre de l’ancien ténor de l’ethio-jazz. « Je l’ai trouvée alors que j’étais en vacances avec ma copine en Ethiopie, à Bahar Dar, se souvient Brian, 35 ans, natif de Chicago. Dans l’arrière-boutique d’un disquaire, je suis tombé sur des centaines de cassettes, j’en écoute une, c’était Hailu Mergia, j’aime, j’achète ! »

Plus de 4 000 cassettes

« C’est finalement pour cette raison que je me suis lancé dans ce label, explique Brian, à la terrasse d’un café parisien, barbe négligée et lunettes rondes sur le nez. Je veux rendre ces musiques plus accessibles, et surtout je veux inclure l’Afrique dans le système musical mondial. Je ne vois pas pourquoi ces artistes ne pourraient pas être sur les plateformes de vente, comme iTunes ou Amazon : s’ils n’y sont pas – et c’est le cas pour la plupart – ils ne peuvent pas toucher de dividendes sur leur musique. »

Sur son blog musical devenu label en 2011, Brian a téléchargé plus de 4 000 cassettes. D’abord en 2002, en Afrique de l’Ouest, au Ghana, « sa » porte d’entrée sur le continent, où il s’installe pour un an dans le cadre d’une bourse d’études sur le hip-hop ghanéen. Puis, par la suite, lors d’allers-retours qui se multiplient, il va au Sénégal, en Ethiopie, en Afrique du Sud, au Nigeria. L’Afrique centrale ? « Je me suis promis que j’irai à Kinshasa très bientôt. » Il cherche aussi à rééditer un groupe de chanteuses éthiopiennes mais, malgré ses efforts pour trouver leur numéro, il n’a toujours pas réussi à les joindre.

Avec une impressionnante collection de cassettes qu’il propose en ligne sur son site, celui qui détient un diplôme d’ethnomusicologie veut « montrer aux gens de la musique différente de ce qu’ils écoutent, mais pas de façon académique ». Un double intérêt donc, pour les artistes d’une part, qui retrouvent une notoriété perdue, et pour le public occidental de l’autre, peu initié mais curieux du kwaito sud-africain, du jazz éthiopien ou du hiplife ghanéen.

Ata Kak, le grand succès du label en 2015

C’est au Ghana, justement, que Brian découvre en 2002 une cassette particulière, dans un disquaire de Cape Coast, à 160 km d’Accra. Le titre de 1994 mêle highlife, disco et des rythmiques de rap : le jeune homme est conquis. Il se met à la recherche de l’artiste, Ata Kak, qui n’a jamais percé au Ghana. En 2015, la cassette ressort sur AFTA, et fait un carton. C’est à ce jour le plus grand succès du label : 150 000 vues sur YouTube et des disques vinyles qui ne se vendent pas à moins de 20 euros l’unité sur les plateformes de vente en ligne.

« C’est extraordinaire ce qu’il m’arrive, c’est très nouveau car j’avais vraiment fait un trait sur ma carrière musicale il y a vingt ans, explique Ata Kak, joint par téléphone. C’est nouveau d’être écouté, c’est nouveau d’être connu, je n’ai pas forcément les mots pour décrire ce qu’il se passe. » Connu, il l’est, mais en Europe seulement. Dans un éclat de rire, il s’en réjouit : « Je peux vivre normalement ici ! »

Comme tous les artistes réédités sur Awesome Tapes From Africa, le Ghanéen touche 50 % des dividendes de son titre, l’autre moitié étant reversée au label. Les mauvaises langues parlent de « piraterie musicale », mais Brian Shimkovitz tranche : « Si ces titres n’avaient pas été réédités, ils seraient aujourd’hui inconnus, et les artistes ne pourraient pas se produire. »

Les tournées sont la prochaine étape du projet Awesome Tapes From Africa. Brian Shimkovitz voudrait faire tourner dans le monde la dizaine d’artistes qu’il a réédités. Mais les visas sont compliqués à obtenir : l’Erythréen Awalom Gebremariam est réfugié politique aux Etats-Unis, DJ Katapila fait des petits boulots au Ghana. Ce dernier attend son visa pour la Grande-Bretagne. Brian et lui croisent les doigts.

Le Monde Afrique

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