À 52 ans, l’ancien ministre de l’Énergie a pris son indépendance politique en claquant violemment la porte de l’Apr. À la tête de son mouvement, « République des valeurs », il s’érige en farouche opposant à son ex-compagnon, le Président Macky Sall.
Total
Le nom de Thierno Alassane Sall est associé à Total. Au mois de mai dernier, alors qu’il est ministre de l’Énergie, il refuse de signer le contrat d’exploration et d’exploitation de pétrole qui lie aujourd’hui le gouvernement du Sénégal et la multinationale française dont les plus hauts responsables étaient tranquillement installés dans une salle d’attente au Palais, le stylo affûté. Si la signature a bien eu lieu ce jour-là, comme programmé, les Français ont dû conclure le marché avec le Premier ministre, Mahammad Dionne, et non le patron du département de tutelle.
C’est que quelques heures plus tôt, ce dernier ne faisait plus partie du gouvernement. Officiellement, Thierno Alassane Sall a été limogé pour avoir défié l’autorité, refusé de donner suite à une directive du chef de l’État. Lui, assure avoir démissionné. Certainement- si bien sûr il a rendu le tablier- en adepte du principe, cher à l’ancien ministre français Jean-Pierre Chevènement, selon lequel « un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne ». Dans les deux cas, la cause de son départ du gouvernement reste un de ces coups d’éclat dont Thierno Alassane Sall a le secret.
Juste deux repères, s’il en faut. Le premier : retour aux années Wade. Au cours d’une réunion, alors cadre à l’Asecna, il chauffe devant tout le monde, et sans ciller, le ministre des Transports, un certain Farba Senghor. La sanction tombe, il est envoyé au placard. Le deuxième : 2012, le Sénégal post-Wade. Fraîchement nommé directeur général de l’Autorité de régulation des postes et télécommunications (Artp), il rabote son salaire qui passe de 14 millions à 5 millions. Dans sa tête, confie un proche, il est inconcevable, dans un pays pauvre comme le Sénégal, qu’un agent de l’État puisse émarger à un tel niveau.
Thierno Alassane Sall serait-il fâché avec l’autorité ? L’enfant de Grand-Thiès porterait-il les germes de la rébellion que l’on dit propre aux habitants de la Cité du Rail ? Son entourage accourt pour préciser : Fâché avec l’autorité ? Non. Rebelle ? Sûrement. Celui qui, au lycée Malick Sy de Thiès, était chargé des revendications du Foyer, est dans tous les cas contre la soumission et l’injustice.
Issu d’une famille religieuse, Thierno Alassane Sall est le fils d’Amadou Tidiane Sall, défunt imam à la grande mosquée de Grand-Thiès. Pour dire toute la place qu’occupe la religion chez les Sall. Thierno, comme l’appellent ses intimes, à l’image de ses frères et sœurs, a reçu une éducation basée sur l’islam et ses valeurs. D’après certains de ses proches, son sérieux, sa rectitude et sa générosité envers ses semblables sont à chercher à ce niveau.
L’ancien ministre de l’Énergie a suivi de brillantes études pour une carrière professionnelle non moins éclatante. Cycle primaire à l’école des Hlm route de Dakar à Thiès. Lycée Malick Sy de la même ville. Bac en poche, il s’envole pour l’École nationale d’ingénieurs de Sfax, en Tunisie.
Devenu ingénieur en télécommunications et en aviation civile, Thierno Alassane Sall a passé 22 ans à l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna). Occupant de hautes responsabilités et prenant part à d’importantes missions internationales en tant que spécialiste de l’aviation civile.
De la victoire de Macky à la claque d’Idy
Il est entré en politique par hasard. Et, fidèle à sa réputation, pour résister et combattre une injustice. La victime : l’actuel chef de l’État. Les bourreaux : Wade et les caciques du Pds. « Il a vu en Macky Sall quelqu’un de sérieux, rembobine Abdou Kassé, professeur des arts-plastiques et responsable de ‘République des valeurs’ à Grand-Thiès. Ils ont parcouru ensemble le Sénégal pour demain, trouver du travail aux jeunes, développer le pays en sauvegardant ses richesses. »
La victoire arrive en 2012. Macky Sall file au Palais et forme son premier gouvernement sans Thierno. Ce dernier est nommé directeur général de l’Artp. Après avoir divisé par presque trois son salaire, il réussit, d’après Abdou Kassé, à engranger d’importants résultats au bout de six mois. La récompense tombe. Il est nommé ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement.
Responsable des cadres de l’Alliance pour la République (Apr), le voilà à une station où il pourra, certes montrer son attachement à sa ville, mais aussi asseoir le parti présidentiel à Thiès où Idrissa Seck règne en maître absolu. Il ne se fait pas prier pour multiplier les réalisations. Un proche : « À Thiès, toutes les nouvelles routes sont l’œuvre de Thierno Alassane Sall : cité Malick Sy, Sofraco, Parcelles Assainies, Grand-Thiès, l’Esplanade de la grande mosquée de Grand-Thiès, route de Diakhao, Fandène et Moussanté. »
Mais puisqu’un responsable politique n’est jugé que par rapport à ses scores électoraux, Thierno Alassane Sall sera sanctionné au détour des Locales de 2014, perdues à Thiès devant Idrissa Seck. Il est viré du gouvernement. « Il a eu le mérite d’affronter et d’avoir d’excellents résultats face à Idy, nuance Abdou Kassé. Pour une première participation, alors qu’Idy était indéracinable. Tous ceux qui avaient perdu ont été sanctionnés. »
Ce faux-pas ne l’empêche de poursuivre sa route avec en bandoulière, son engagement pour l’Apr et l’émergence du Sénégal. Kassé toujours : « Thierno Alassane Sall a continué le travail de massification de l’Apr, comme si de rien n’était. Il a repris son poste à l’Asecna. C’était la ruée vers sa permanence quand il a été limogé, les gens le portaient encore plus en estime. Il a continué le même travail de proximité. Les gens se sont rendus compte qu’il est incontournable à Thiès. Il a été réintégré dans le gouvernement plus tard. »
Parallèlement à ses activités gouvernementales, Thierno Alassane Sall milite pour le bien-être des couches défavorisées. Mais là où beaucoup d’hommes politiques entretiennent la misère des populations, avec l’espoir d’en tirer des dividendes électoralistes, lui, dit-on, préfère des actions durables et qui permettent aux assistés de garder leur dignité en sortant de la misère par leurs propres moyens.
C’est dans cet esprit qu’il a initié les « Lékettes » (calebasses), des appuis financiers destinés aux groupements de femmes, lesquels pourront, avec ces fonds, développer des activités économiques génératrices de revenus. Apporte également des appuis aux jeunes regroupés en associations, aux conducteurs de moto Jakarta… Le tout, jure Abdou Kassé, sans s’arrêter sur la coloration politique des destinataires de ses actions.
Seneweb a appris que les travaux de réfection de certains établissements scolaires de Thiès sont à mettre à son compte : les écoles Aly Ba, Thierno Ciré, Hlm route de Dakar. Et, last but not least, la réfection du bâtiment E du lycée Malick Sy de Thiès, pour un financement de 100 millions de francs Cfa obtenu de Sonatel grâce, dit-on, à l’entremise de Thierno Alassane Sall. Un bâtiment dont la livraison, prévue ce 31 octobre, a été annulée par le ministère de l’Education nationale, « pour des raisons politiques », sourit Abdou Kassé.
Pas avare en dithyrambe, ce dernier ajoute : « Les branchements sociaux et extensions électriques à Mbour 3, Mbour 4 et autres, sont à mettre aussi à son actif. Il a fini de faire des proximités. C’est le seul ministre qui est à Thiès tous les weekends pour voir les gens. Il est fidèle en amitié. C’est pourquoi il est aimé par les Sénégalais. Ils voient en lui un leader de rupture, qui dit ce qu’il fait. Il est accessible, proche de la population. A chaque fois qu’il vient à Thiès, c’est la ruée vers son siège. »
Nouvelle page
Aujourd’hui, Thierno Alassane Sall est arrivé à un tournant de sa vie et de sa carrière politique. Il a quitté le gouvernement, pris ses distances avec Macky Sall et tourné définitivement la page de l’Apr. Et pour cause. « La gestion sobre et vertueuse » qu’on lui a vendue au moment de prendre la carte de l’Apr, est demeurée, selon lui, un slogan. La défense des intérêts du Sénégal, qui devait guider l’action du gouvernement, n’est pas, à son avis, le moteur du pouvoir en place…
Le 28 octobre dernier, il a lancé son mouvement politique dénommé « République des valeurs ». Pour, dit-il, remettre les choses à l’endroit. Beaucoup de leaders de l’opposition ont fait le déplacement. Parmi eux, Idrissa Seck qui le dépeint en « leader capable de prendre les rênes du Sénégal et, avec des valeurs, le transformer en pays prospère et développé ».
Les partisans de Thierno Alassane Sall espèrent que leur champion « se présentera aux élections locales et à la présidentielle » de 2019. Comme Idrissa Seck, ils voient en lui « le président qu’il faut pour faire revenir les valeurs et développer le Sénégal ». Un sacré programme pour ce père de famille de 52 ans, amoureux de la lecture, cultivé. Qui n’a pas l’échine souple.